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Marques

Publié le par Mathias LEH

Il est un lieu où les chênes enfin se couchent.

Comme si nous pouvions faire tomber les barrières.

On ne se plaint de ce qui est que lorsque cela nous touche, on regrette le pouvoir de l'argent que lorsqu'on est pauvre !

J'étais donc laid. Il en fut ainsi. Je ne pouvais le voir autrement, la beauté était devenue la valeur, je me trouvais si loin des branches.

 

Pourquoi ?

Elle est étrange ta question. Pourquoi est-on laid ? Pourquoi es-tu laid ?

 

Mais je ne le savais pas exactement, je savais qu'il en était ainsi, très tôt, ils me regardaient de travers, ou pire encore étaient compatissants.

J'essaie de me souvenir, de retrouver dans les méandres de l'éponge sale de mes souvenirs.

 

Et puis, une nuit, tu sais, ces nuits où je ne sais pas ce qui me prend, je ne voulais pas rentrer chez moi, je suis parti chez le premier venu, ou presque, tu ne diras rien, je n'ai pas besoin de ta morale, du moindre regard…

 

Je suis allé, il attendait, il lit était chaud, l'homme doux.

 

Tu te demandes, quelle est encore cette histoire, attends, prends patience au creux…

 

Nous n'avons pas fait grand-chose, était-il trop tard ? N'avions-nous pas vraiment envie ? Qui étions-nous ? Épaves perdus dans la nuit noire de cette ville surfaite… Nous recherchions autre chose, une paroi contre le vide…

 

Aujourd'hui, au moment où je crois te parler, quand les mots doivent tenter de revêtir ce qui fut, je sais, je comprends un peu mieux. Nous étions frères, dans cet inceste doux et trompeur.

Nous avions tous deux vu, senti, ressenti et les timides étreintes sont venues atteindre la faille.

 

La laideur, la plaie.

 

Souviens-toi, le corps, support de la laideur, porteur de la honte, du ridicule.

Nous devinions, dans un baiser tendre, dans la caresse soyeuse, j'ai senti son appréhension, presque une peur quand j'ai voulu le toucher, tension soudaine, involontaire.

Il était nuit, longue et vide, dans un petit appartement au fond d'une cour intérieure, il n'était même pas chez lui, il attendait ?

Il a souri. Il parlait peu, au début. Son visage pouvait plaire, il avait des yeux profonds, ils disaient presque trop.

Pour être franc, il ne m'attirait pas, pas franchement, trop doux, trop féminin et tendre, il lui manquait une force affirmée mais il avait une insistance étrange.

La chambre était dans la pénombre, je sentais qu'il ne voulait pas de lumière, il était gêné, physiquement. Impression qu'il se serait excusé sans cesse, qu'il ne serait pas la hauteur… La hauteur de quoi ?

 

Être bancal, être dans le rouge d'un lit d'hôpital et il ne disait rien, mais ses yeux entraient en moi, me sondaient.

 

Il a caressé ma joue, si lentement, j'ai eu envie, soudain, sans raison apparente, de pleurer. J'ai senti revenir des années et des années de douce tempérance face à l'adversité.

Il a passé le tout bout de son doigts sur mes cicatrices.

 

J'étais enfant, dans les premières années et les autres enfants, je ne sais comment expliquer vraiment, je ne peux, je n'avais pas de mot encore mais je savais que je ne pouvais me mêler totalement à eux, je n'en avais pas le droit. A cause de…

 

Et puis il a parlé, simplement. Pas de moi, il avait cette pudeur, du moins au départ. Il a fermé mes paupières puis les a embrassées.

Le souffle est lent, il s'éloigne un peu de mon corps, un frisson de peur, je ne sais pourquoi.

Une barrière s'effrite, il couvre son corps du drap, je sens qu'il ne peut faire autrement, le regard extérieur comme une menace, un coup de couteau.

 

Il était obèse, si obèse que je ne peux le croire, mais il le dit, simplement, il a perdu beaucoup en peu de temps et sa peau est toute distendue, flasque, il me dit qu'il est peau d'éléphant. Il parle, sans le moindre sentiment dans la voix, je ne sais qu'en penser, il me regarde, ses yeux me croisent, il est doux et lointain.

 

La nuit recouvre le temps, je suis crevé, je suis allé danser avec Sophie, je suis dans cette bulle étrange, j'ai envie de sombrer dans le sommeil, il ne dort pas, il ne parle pas. Il repose sa main sur ma joue, tendrement, c'est infini et évident.

Je ne sais pas, je me blottis proche, je n'ose pas m'approcher plus, il me fait un drôle d'effet, une infinie tendresse et l'envie de rester à distance, comme si c'était trop…

Il me demande, soudain, et il va dans le sang, quand je me suis fait opérer ? Il n'ajoute rien de plus… Pour le moment, je ne réponds pas. J'aimerais dormir, qu'on me laisse tranquille et pourtant il me touche, il prend le sang des blessures.

Il sait.

Doit-on tout dire ? Est-ce réellement nécessaire ?

Il est ours, il est isolé, je le sens bien, il porte un fardeau comme je les connais. La fraternité des confins.

 

Vais-je parler, dois-je te dire ? Te dire quoi ? Que j'avais un bec de lièvre, que l'on se foutait de moi, que ma famille a été l'alliée et le point d'ancrage avec ce qu'il fallait d'ambiguïté dans les moments critiques.

Que je suis pris dans cette éternelle aspiration pour faire partie de la masse, pour être beau, pour être celui qu'on aime pour ce qu'il dégage et que je ne peux, dans le même mouvement, rejeter ce que je fus, toute cette haine bête et stupide dont je fus le réceptacle.

La honte, cette brûlure indélébile.

Elle-même qui me fige les lèvres à l'instant même. Que dire que tu ne saches déjà ?

La honte est inscrite en lettres d'or sur ton visage, dans le fond de tes yeux et dans chaque micro mouvement de ton corps…

Oui, doux frère proche et lointain, nous sommes difformes, hors normes et il faut alors toujours le payer. Mais nous sommes rentrés dans le rang, tu caches tes cicatrices et ta peau d'éléphant, je dessine à la barbe claire des ombres sur ce qu'il resterait de la fente labio-palatine…

 

Trompe le monde ?

Qui sait ?

 

Nous ne nous trompons pas l'un l'autre en tout cas…

 

Dans la cour de l'école, à l'heure de l'interclasse au collège. Que le temps pouvait être long, infini et âcre, que je maudissais ce moment, j'aurais aimé disparaître le temps d'être ordinaire, j'aurais aimé pouvoir être un sans visage, simplement. Apprendre à faire avec c'est devenir docile, courber l'échine et adopter le discours comme quoi ce n'est rien, que rien ne me touche, qu'ils sont stupides et méchants mais que je reste sans atteinte, qu'il ne sert à rien de répondre…

J'en ai rêvé tant et tant de pouvoir répondre, leur casser leur belles petites gueules soit disant parfaites !!! Leur péter les dents et leur faire un bec de lièvre superbe, qu'ils sachent, qu'ils comprennent une bonne fois pour toute !

Ne viens pas avec ta compassion de messe du dimanche, ne me regarde pas avec des yeux de cocker à la con…

 

L'école, le monde social, j'ai même cru que l'on pourrait vivre away, et je me suis découvert homo, pd, tu appeleras ça comme tu voudras, je me souviens, ado, m'être dit que je cumulais dangereusement les anomalies !!! J'avais la gueule de traviole et il me fallait aimer les hommes, le con !!!

 

Je te parle à toi et lui je l'ai quitté rapidement après une nuit dans un même grand lit, je ne l'aimais pas et je suis pourtant si proche de lui, une union dans une douleur, nos passés se répondent et se détachent l'un à l'autre, les mots ne viendront jamais vraiment, il reste la trace, les marques, le stigmat.

Je ne sais pas. Nous sommes l'un à l'autre dans cette honte comme un formidable séisme dans l'intime, un mouvement des entrailles. Que cela bat fort parfois et qu'il faut de tempérance pour quitter ces rives. Je me retrouve en haut des falaises, prêt à être projeté à nouveau dans le vide, j'avais peur, ils pouvaient faire mal d'avec les mots et d'avec le corps, j'étais proie simple.

 

Tu sais je ne sais pas pourquoi il reste ce moment, je ne sais pas pourquoi je ne peux pas en dire beaucoup plus, pourquoi je ressens ce tiraillement physique et intense dans tout le corps quand l'idée de la honte m'enserre. Pourquoi son corps même, son ventre disloqué m'a aussi donné envie de regarder ailleurs, m'a mis mal à l'aise. A-t-il ressenti cela pour mes lèvres si légèrement fendues ? Est-ce encore plus honteux de ressentir cela quand on est du clan ?

 

Quel clan ? Arrête tes conneries, tu as très bien compris !

 

Tu sais, je sais une chose, que cet homme a dit à demi, notre attirance, et peut-être surtout pour des hommes beaux, fascinants, sûrs d'eux, créateurs et j'en passe, tout ce que nous ne sommes pas. Enfin, ne pensons pouvoir être en tout cas.

 

Combien d'années pour venir à bout de tout cela ? J'ai intégré peu à peu l'idée que je devais faire profil bas, que la meilleure défense restait la fuite et l'esquive passive… Tu rentres pas à pas dans le rôle, tu deviens docile et remercie le premier venu de bien vouloir t'offrir un peu de réconfort, de ne pas te cracher à la gueule, tout ça parce que tu n'es pas beau, tu es laid tu ne rentres pas dans les cases !

 

Je prends des pincettes, je m'endors enfin dans cette nuit pâle et pourtant si tendre. Je ronflerai avec dépit et envie !

 

Je garde les marques, je suis la cicatrice des jours anciens, je l'écoute une dernière fois.

 

L'empreinte palatale comme marque de l'ange, ils posent leur doigt sur nos lèvres afin que nous puissions oublier ce qui fut avant, et de ce doigt la fente est trace, elle scelle le secret entre eux et nous, elle apporte l'oubli, vierge et neuf…

 

Nous sommes sur le radeau, nous n'avons pas oublié, impossible secret, impossible semblant, n'en suis-je pas finalement content ?

Nous gardons nos empreintes et tant pis pour les anges, il a bien fallu s'y faire et de la nuit passée garder ce sentiment diffus, épars, une force étrange, transversale et rugueuse, elle prend naissance ailleurs, sur la crête, dans les yeux francs et insistants, plus rien à perdre.

Décale moi, reprends le tempo, nous y sommes...

 

 

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