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Nous dans la haine...

Publié le par Mathias LEH

Nous dans la haine...

Les échos sont permanents. Je bloque le temps dans un silence. Je sillonne le temps dans la photo mentale d’un souvenir.

Il ne parle pas, l’homme sur les écrans, il semble hurler, après qui ? Après quoi ? Est-ce réalité ? Est-ce vrai ? le fait-il exprès ?

Je retrouve ce grand mec ado qui venait tout proche de moi dans la cour du collège et avait cette posture que je retrouve, ce hurlement, et déjà, rapidement, j’ai mis ce voile entre lui, moi et le monde, me protéger de cette attaque violente.

Est-ce de l’indifférence ?

Je me souviens que nous n’étions pas les plus malheureux. Ils avaient décidé sans décider vraiment, ils auraient pu se retrouver dans la masse, ils auraient pu se fondre dans le moule : en surface. Tu te demandes pourquoi je te raconte tout cela ? Tu te demandes, finalement moi aussi. Je me revois là, assis au pied d’un prunier, sur une terrasse en ciment, le ciel bleu acier et froid face à nous.

Le mal, je ne sais si ce n’est pas trop simple de dire cela. Je pense juste que ce ne peut être un concept abstrait, objectif. Le mal est attaché à nous, comme si sa racine était avant tout au-dedans de soi, de ce que nous sommes très intrinsèquement… Animal humain…

J’étais perdu, dans le verni opaque, brumeux, de l’enfance. Est-ce donc là ? Est-ce bien cela ?

Que m’ont-ils demandé ? Presque rien ! Ou rien ! Il fallait alors inventer, deviner et croire deviner. Ils étaient pris, ailleurs.

Depuis, il y a un moment, des années, les années…

Et nous nous retrouvons ici, dans ce lieu, cet espace et à ce moment-là. J’aimerais ne pas m’arrêter-là, j’aimerais ne pas avoir à réfléchir à tout cela, j’aimerais me replier sur moi-même, fuir et couper le fil… mais ils arrivent, ils sont ordonnés et veulent protéger leur monde, au prix du retour, éternel, d’une certaine forme d’extinction…

Les portes claquent, les nuages s’amoncellent, ce n’est peut-être pas la fin du monde, peut-être pas. Je n’arriverai pas à être clair, simple, discret dans le sillon intellectuel. Individuel et collectif sont intimement liés, il serait si illusoire de ne pas le croire, de ne pas le voir, de l’oublier. Je me demande même si le lit de la lie ne se situe pas ici.

D’où vivons-nous ? D’où parlons-nous ?

Tout pourrait être si calme en apparence, j’avance dans cette existence, homme blanc, quarantaine, deux enfants, fonctionnaire. Comment construit-on cet apparat ?

La foudre tombe et le tonnerre gronde, j’ai appris à y faire face, quand tu es l’enfant que l’on rejette, celui que l’on singe et humilie, cela ne pose plus de problème. Tu connais la brûlure, tu n’as plus peur de perdre. Tu intègres, peu à peu, pas après pas, ce qu’il faut savoir, ce qu’il faudrait être et que tu n’es pas, manifestement pas. Pour moi, le mal vient se nicher là, tu l’embrasses alors malgré toi. Tu sors, sans cesse prêt à prendre feu, prêt à être écorché vif.

Tu te demanderas, c’est acquis, pourquoi tu es là, quelle pertinence tu as à y être, qui viendra bientôt te chasser relevant l’horreur de ton imposture.

Et ne rêvons pas, soyons franc, une fois pour toute, tout se joue là, dans le corps, dans ce qui est donné à voir, ils se donnent le droit de regard sur ce corps, il n’est pas à moi, il ne le sera pas. Le mal, ce qui serait meilleur, ce qui nous rapproche les uns des autres, ce qui fait que l’on est dedans ou pas. Je ne suis pas. Alors c’est ta couleur, tes croyances, tes choix, ta sexualité, et quoi encore ?  Mais il faut et ils te l’expliqueront : que ça se voit ! Ils le savent !

Ils parlaient d’égalité, on en parle, allume, écoute, ils militent. Que voulez-vous ? Que recherchez-vous ? Votre égalité ? Votre mise au niveau ?

Nous arrivons dans l’antre des paroxysmes, le discours hurle des valeurs et les démonte avec une rapidité exemplaire, plus rien n’a de valeur que la valeur elle-même, qui a gagné ?

Je suis à nu, je suis un squelette, je sens cet appel du vide qui me saisissait quand ils se moquaient, quand ils me regardent et se sourient entre eux…

Sais-tu pourquoi ? Comprends-tu même seulement ? Et la haine, qui est venu me tenir en vie, me laisser hors les longs chemins de traverse où il aurait fallu les croire, en finir, disparaitre puisque non conforme.

Ce monde ne m’a pas appris à être moi-même et de cela finalement je me fous, je suis ainsi, je tiens de bric et de broc, je m’en fous et je regarde le miroir avec le dégoût que je me dois à moi-même et au monde en général. Là n’est pas le cœur de la question. Mais où alors ?

Ne rêvons pas, parler de moi ne sert de rien et toujours on ment, écrire c’est mentir, inventer c’est dire la vérité, là n’est toujours pas la question ! Je parle de ce qui vient, de ce qui nous dérange tant que nous ne le verrons pas, jamais vraiment ! La peur comme système de protection, le rejet et l’auto centrisme comme rempart : je ne veux pas être bon, je chie sur la bonté quand elle te donne des coups, quand la fraternité te fait si bien entendre que tu ne fais pas partie de la famille, on peut, à la rigueur, te donner une couverture et une écuelle et te sourire quand tu repartiras au petit matin. J’ai pris le parti de rester caché, au fond oui, ne plus donner, on te le rendrait en insultes, on te dira dès qu’il sera temps, que tu n’es pas beau, que tu n’es pas bon, que tu n’es pas comme il faut. Le repli est par-là, ils sont rares ceux qui t’aimeront vraiment pour ce que tu es, pour ce que tu n’es pas, pour ce qui est en dehors aussi et que tu portes, que tu tentes d’oublier.

Faut-il avoir subi, d’une quelconque façon, le joug de la masse, le poids de l’exclusion, pour comprendre ? Pas forcément, que cela serait simple ! On peut aussi se ranger du côté des discours faciles, de la norme. J’ai essayé, j’en ai rêvé, oui je rêve encore d’être un homme comme il faut, un homme comme les autres, gommer ce qui me met à la touche, gommer ce qui fait de moi un paria. J’ai fait de leurs valeurs les miennes, en partie, mais j’ai ma famille qui toujours dépasse, je ne suis pas un bon bonimenteur, je ne suis pas fait pour apprendre et recracher, j’ai un petit monstre tonitruant au-dedans de moi, un sacré emmerdeur qui me fait danser, courir et parfois mourir.

La honte. Connais la honte, comprends la honte, prends là à bras le corps et reviens me vendre du trump, du lepen et autre saloperie moderne et si ancienne ! Mais s’ils sont là c’est que le reste a fait son œuvre, je ne suis pas en dehors de ça, nous devons nous méfier de nous-même, de nos valeurs qui seraient autant d’armes de destructions massives, tu es différent donc je ne t’aime pas, donc je te supprime, d’une façon ou d’une autre, on fait le mal au nom du bien ou on essaie de se le faire croire, systématiquement.

Je ne suis pas en train de préparer une tranchée et de choisir mon camp, je ne veux pas entrer dans cette logique du pire même si le pire est bel et bien en route. Il suffira de se réfugier dans sa bulle de petits semblables, trouver ceux qui me ressemblent et rassurent ma peur…

L’enfant ne savait pas encore puis l’adulte a voulu aller vite pour ne pas se poser certaines questions, enfouir les problèmes.

Oublier.

Je sais aujourd’hui, du haut de mes quarante-deux étés, je sais pourquoi le mal a cette saveur pour moi, pourquoi je l’associe non plus à une personne, ou deux ou des millions mais à nous, tous. Il est là, il dort et nous berce si sûrement…

J’ai entendu, doucement mais sûrement, le froid dans les murmures des alizés, comment on trouvera toujours un plus petit que soi, comment au moindre souci on pourra lui taper dessus, au propre et au figuré, j’ai les branches étranges, une mère droguée, peut-être même prostituée, un père accablé, bouffé, petit, dérisoire et admirable dans son attachement à l’être. Une mère admirée, idolâtrée, cassée, l’amour s’efface dans les couloirs de la folie, qui le saura ?

Et moi ? Petit bonhomme trop féminin, éphémère, écrasé avant d’avoir pu se déployer et si soucieux pourtant de plaire, d’être celui qu’on attendait ! Il a fallu parcourir des kilomètres, affronter la solitude et le renoncement, assumer, à peine, un corps déformé, prendre le poids des ans et la maladie en soi, joyau familial, la destruction comme héritage ultime, pour y voir clair, pour parler de façon intelligible dans la nuit comme au milieu de la foule. Avoir fait de la peur un système et non une fuite, de la norme non plus une appartenance mais une fuite pour pouvoir écrire tout cela, le plus calmement possible. Vous dire, vous écrire, une bouteille à la mer, nous allons droit dans le mur, nous aimerons cela … Conduire trop vite, griller le feu rouge, fumer trop…

Je n’ai pas de grand mots, je n’ai pas l’égalité au bord des lèvres, ni l’amour, ni la fraternité, je ne me suis pas enfermé sur une île au loin pour des prunes ! Je voudrais la justice, une justice pensée, tuer le règne noir de l’émotion, l’anecdote comme seule règle, le mensonge des chiffres, l’avarice des cultures, le tarissement de la pensée, elle pourtant si noble, si belle et non élitiste ! Là alors nous serons égaux, dans ce partage, cette belle réconciliation avec une exigence argentée qui nous laisserait notre sensibilité, notre parcours, nos différences chevillées au corps, moi, est-ce encore seulement possible ?

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