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APLATI

Publié le par Mathias LEH

APLATI

Il va falloir t’y mettre, il va falloir tenter de sortir des années grises, des années cachées.

Il regardait l’océan. Les vents aventureux qui calmaient les ondes, les résiniers inclinés et cette furieuse envie d’aller les flots. Un regard, les embruns et toujours ce même refrain : se jeter tête baissée…

Je suis venu sur l’île, nous étions trois, je croyais ce deux, invincible et à la proue d’une vie ouverte…

Des tropiques j’ai appris la moite errance, la solitude en haut des arbres, dans le vol des vigies frégates, dans le regard fuyant du manikou à la tombée du jour, j’ai souri au trigonocéphale croisé à pieds des sources, je ne craignais pas la morsure de cet aube quand il est parti.

Je suis venu exorciser le feu de mes craintes ancestral. Que dis-tu ?

Tu le sauras, je savais, je tissais dans le bleu des nuits, je me promenais à la lune donnée, je connaissais le nuit talisman des prédictions, j’avais l’océan en surcharge. Tu n’es pas venu. Les pièces sont vides.

Tu es là. Enfin. Seul sur l’île avec l’enfant.

Non, les temps ont changé, je ne suis pas seul, l’enfant n’est plus un enfant. Tu chantes les firmaments de l’errance romantique.

De l’enfance enterrée, trop vite, très tôt, de la douleur dont on doit avoir honte :

« J’ai fui l’océan, les terres étrangères away en ce début de vie, j’ai enfoui chaque parcelle de douleur, parcimonieusement. »

La vie jouait à la courte échelle, te souviens-tu ?

Je faisais de l’apnée avec moi-même. Je voulais le monde dans l’œuf. Maîtriser la douloureuse échéance.

Nous sommes seuls. Aucune révélation, nous sommes là, dans torrent humain, tourne et retourne, effleure mais jamais n’entre dans l’intime, le faux, le toc. De cette solitude terne, vive. J’arrache aux derniers rayons du soleil, j’arrache aux espoirs cowboys les vagues d’optimisme. Je piétine le cœur des armées errantes, j’ai l’extrasystole exubérante. Nous voulons pourtant tant et tant y croire, nous nous attachons aux bouées. Toutes prennent des valeurs différentes. Nous ne parvenons pas à créer de priorités. Je me sens perdu dans ce flot discontinu. J’ai crié dans la nuit noire. Il m’en souvient. Te souviens-tu, cette voix étrange, l’enfant dans une colère infinie… Dans le long couloir que représentent ces derniers jours, dans le creux de cette année si lourde, longue. Des mots courent, ils reviennent, des soliloques dans le froid de mes pensées. Tourbillons.

Les aubes sont parfois claires, pourquoi ne le dis-tu pas ?

Pourquoi toujours prendre cette tangente nauséeuse, d’où donc te vient ce goût noir ? Du sang sur les mains, de l’encre charbon ?

De la honte, sa trace dans toute relation humaine, la rage faussement éteinte, la résignation dans les larmes de sang. Pourquoi toujours avoir honte de soi ? Courbe l’échine, ne la ramène surtout pas, sois heureux que l’on te laisse vaguement tranquille. Ils ont ri, ils ont voulu te mettre à terre, tu ne disais rien, endurer, endurer et mourir dans la bulle de soi…

L’oubli, douce et insidieuse naphtaline…

Alors le rêve reprend la trace.

Je resterai enfin au lit, nous avions lutté jour après jour. La concrétude de la fin d’une histoire, quand la mer se retire, il ne reste que l’oubli et le vide. Je reste dans le lit. Vide…

Les phrases qui brûlent le visage, les attitudes qui lynchent l’amour, le mettent en charpie.

Sans cesse cette fine poudre qui recouvre des vies, des précipices, les falaises. Je parcours les mêmes unités élimées, perdant, à tout point de vue.

Pourquoi as-tu appris à ne jamais épancher ta peine, la mettre en pendentif dans les tréfonds de ce cœur atrophié et pourtant si proche de rompre parfois, tu as senti les secousses à plusieurs reprises, tu gardes le secret.

Taire. Enfouir. Disparaître. Désaparaître. Tuer tous sentiments avant même sa naissance. Ils appellent cela insensibilité, force de caractère, tempérance. Avais-tu seulement le choix petit gars ?

« Maman se shoote, papa est largué, tu n’es qu’un petit pd ».

Tu souris, tu n’as pas pu le dire ainsi, hein ?

Tu voulais cacher, être plus fort, construire et oublier. Cette énergie des portes du désespoir.

Tu as été loin.

Les limites.

Elles étaient longues les heures. Tu parlais à cet autre, tu inventais des vies au sein du vide parental, au sein des humiliations, tu avais l’imaginaire comme refuge. Le corps qui se répand, tu étais gros, te souviens-tu, tu passais la nuit en compagnie des ombres, la peur, le recroquevillé du cœur, la mort rôdait dans tes rêves et tes angoisses. Tu la voyais chaque jour plus proche, dans ce vide, cette happe en ta mère, ce gouffre de plus en plus béant : héroïne.

Le temps efface les pas.

Regarde le sable, noir, roux ou blanc…

Cours.

Ris.

Soutiens.

Fonds.

Pleure, enfin !

Danse mon ami.

Mon double, ma vie perdue, enterrée, retrouvée, mélangée.

Les arcs dans ce ciel étranger et coutumier.

Je suis autochtone de la vie en terres étrangères, je suis autochtone de moi-même et cette terre se révèle si contradictoire, des volcans aux puits sous-marins, je risque ma peau, je pelle mon âme, orange acide.

Le sang irrigue, reprend son rythme, la crise passe si vite, on ne peut la remarquer…

Je marchais dans ton ombre /

Tu riais /

Oublie-moi, je ne t’oublie pas /

De l’amour à la gloire pilonnée, je garde le meilleur quand le pire rugit.

Ta voix, ta peau, le temps guidera, quelques empreintes dans la neige…

Que ne fonde, que ne parte, s’estompe mais jamais ne meure… Tu le savais bien.

Je regarderai la mer, je regarderai les moments qui dorment à jamais au creux de moi, je ne suis que coquille vide, je ne suis que le vent dans les plaines, un souffle et puis s’en va…

Il est permis de croire, il n’est pas interdit…

Que deviennent les cœurs valeureux, le sait-on jamais ?

Qu’en sera-t-il d’un cœur brutal ? Un cœur trop gros, pavé trop électrique ?

Dans ce corps armure, dans cette nuit étincelles, dans les souvenirs, si vrai, si grandeur nature, je reste fidèle à l’amour comme poussière…

Pourtant, le temps passe et je ne vois pas, je m’enfuis, je compte une à une les miettes…

J’ai pris la tangente, je ne peux même pas dire que je regrette, le devrais-je ?

Telle est ta voie. Dans les voix, tu entends clairement, au fond, tu le sais bien !

Je redessine des souvenirs en courant dans le sable noir.

Je ressasse des mots, ce prénom apparaît et je le chasse nonchalamment…

Dois-je alors m’avouer sans chercher à le comprendre, dois-je me le dire ?

Peut-on toujours être pris dans cette nébuleuse sans même pouvoir y mettre la moindre once de raison plate ?

Je vois soudain la rivière, elle est si vive ce soir, marron des boues charriées depuis les hauteurs, au cœur, dans le nu des tropicales trouées…

Je me niche là.

Un homme de moitié de vie, un enfant au creux du cœur, un enfant qui n’a pu grandir et ne veut plus s’éteindre. Un homme bafoué et fier. Une vie sans espace, chercher éternellement la respiration en dehors. Se tromper, forcément.

Les herbes sont hautes, les tisserands y nichent et émiettent. Je cours, je traverse. Je ne sais m’arrêter, là le danger. Je n’ai pas pu être comme vous, on m’a refusé vraie place et de cet écart permanent j’ai tenté un habit de refuge, une vie dans les plis. Ils me retrouvent. Je les entends, je les épie avant le saut, avant la chute. Je cours. Mais oui. Je ne fais que passer, que vos quolibets, vos salivations ne puissent me clouer au sol. Je pleure, j’aimerais, oui, que j’aimerais, que vous m’aimiez, mais les voix perdurent et l’amour est perdu, parti dans les années. Lorsque je serai arrivé, la route se perd dans les lacets, je sais monter et ne jamais m’arrêter, dans les bois je serai entré, à la source, près du torrent, j’ôte mes vêtements et je sais, mère n’entends pas les cris de l’enfant, tuer fœtus, du sang, j’ôte les vêtements, j’avance les derniers pas nu. La pluie, chaude et moite, elle est enfin là, je lève les yeux et la lune est déjà là, croissant fébrile, je ne pense plus, j’entends des chants d’autrefois des tréfonds, je marche… Ma peau éléphant, mon corps opossum, mes jambes force, mon torse honte, mon visage désarroi, je suis un, j’avance, je ne réfléchirai pas, tu le sais bien, toi, il n’y a pas de place pour les fous dans ce monde, il n’y a pas de place pour les autres, la fraternité m’exclue, libre. Je suis la source, je vais le torrent, je saute…

J’ai aimé, j’aime et je vais l’eau, dernier saut, je sens l’air et les bulles, que c’est bon !

Que celui qui fut moins chanceux me lance la dernière insulte poussera alors en moi le dernier mot : feuille amour hippocampe enfant père heureux...

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